Dans la jungle, un souffle d’espoir : les patrouilleurs, rempart contre la déforestation

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    Les patrouilleurs des trois VOI dont Farihivola, MAMAFI et Vonona.

    Classé en catégorie VI, le Corridor d’Ankeniheny-Zahamena (CAZ) est un paysage harmonieux protégé couvrant 369 266 hectares. Ce vaste territoire, équivalent à la superficie combinée des parcs nationaux de Ranomafana et d’Andringitra, est principalement situé dans les régions d’Alaotra-Mangoro et d’Atsinanana. Géré par Conservation International, le CAZ s’étend sur plusieurs districts, dont Moramanga, Ambatondrazaka, Brickaville, Toamasina II et Vatomandry. Cette aire protégée abrite une biodiversité exceptionnelle, avec notamment une grande variété de lémuriens et d’espèces endémiques.

    C’est depuis la commune rurale de Fierenana, située aux portes de cette vaste forêt, que nous avons choisi de vous faire découvrir ce patrimoine. Grâce à la récente rénovation de la route reliant Amboasary Gara, l’accès à cette région est désormais facilité, ouvrant de nouvelles perspectives pour le développement local et la conservation de la biodiversité. Ensemble, découvrons comment les membres des communautés villageoises ou VOI (Vondron’olona ifotony) préservent leur environnement tout en développant leurs activités.

    Le fokontany d’Amparihivola.

    Immersion au cœur de la forêt

    Pour immerger au cœur du quotidien des patrouilleurs, nous avons rejoint les communautés villageoises en taxi-moto. Le trajet nous a conduits à travers des paysages contrastés : si les rizières témoignent de la richesse agricole de la région, nous avons également été confrontés aux réalités de la déforestation, avec des arbres abattus et des fours à charbon disséminés tout le long du chemin. À Amparihivola, les présidents des VOI Farihivola et MAMAFI nous ont accueillis et partagés leur attachement à la forêt, essentielle à leurs cultures et à leur mode de vie. Avec ses 7 900 hectares de rizières produisant 16 000 tonnes de riz par an, Fierenana est bien le grenier à riz de Moramanga.

    La forêt, c’est notre vie ici dans la campagne”, nous confiait le président de la communauté Farihivola. « Elle nous fournit l’eau, la terre fertile et les matériaux de construction. » Ces mots résonnaient alors que nous découvrions l’étendue des rizières de Fierenana, poumon économique de la région.

    Ramiandrisoa et Lita, les deux presidents des VOI Amparihivola et MAMAFi

    Accompagnés de cinq patrouilleurs des VOI Farihivola – MAMAFI et VONONA, âgés de 27 à 50 ans, ainsi que de trois de leurs responsables, nous avons effectué une visite de la forêt. Ces gardiens de la forêt consacrent cinq jours par mois à une mission essentielle : protéger leur environnement des menaces qui le guettent. Braconnage des lémuriens, exploitation illégale du bois, feux de brousse et cultures sur brûlis sont autant d’atteintes qu’ils luttent à contre-courant. 

    Cette sortie sur le terrain a été l’occasion de renforcer notre collaboration et de mieux comprendre les besoins spécifiques de ces communautés engagées dans la conservation. Armés de notre appareil photo et de notre micro, nous avons partagé une journée éprouvante mais riche en découvertes aux côtés de ces héros de l’ombre. L’air frais nous a insufflé un regain d’énergie, prêt à affronter les défis de la journée.

    Jean Chri, le plus jeune des patrouilleurs mais aussi le plus assidu.

    « Nous sommes attachés à cette forêt, notre velotegna en dépend« , nous a confié Jean Chri, un jeune homme de 24 ans, à la fois agriculteur et gardien de la nature. Son père l’a initié à cette mission dès son adolescence. Aujourd’hui, il connaît chaque sentier de cette forêt, et il en comprend toute l’importance. « Si nous ne la protégeons pas, c’est toute notre économie qui en pâtira. » 

    Jean Chri, marié et père de deux enfants, déborde d’une énergie juvénile malgré les responsabilités de la vie adulte. Bien qu’il ait dû interrompre ses études trop tôt, il rêve de devenir un spécialiste de la forêt. «J’aimerais tout connaître sur les plantes, les arbres, les écosystèmes… Puisque j’ai choisi de vivre ici, je veux comprendre, faire vivre et protéger cet environnement. » Pour l’instant, il maîtrise parfaitement le GPS et transmet ses connaissances aux autres patrouilleurs. Lors de notre patrouille, il était notre guide infaillible, sa jeunesse lui conférant une agilité et une vivacité remarquables. Il parle beaucoup et nous indique que sa jeunesse est un atout pour l’équipe par sa maîtrise des outils, sa bonne mémoire, sa force et son dynamisme. Jean Chri est un modèle pour la nouvelle génération de gardiens de la forêt. 

    Dévouement et résilience : le quotidien des gardiens de la forêt

    Les autres patrouilleurs sont également des agriculteurs, conscients des enjeux du changement climatique comme le problème d’irrigation et les saisons qui changent. Ils ont choisi de s’engager malgré les moqueries de leurs voisins. « Cette forêt n’appartient pas à ton père ni à ta mère, pourquoi tu y consacres ta vie ? » leur lancent parfois leurs proches. Mais pour eux, protéger la forêt, c’est aussi se protéger eux-mêmes. Face aux intimidations et aux craintes suscitées par les récits de ses voisins, Jean-Louis a choisi de rester patrouilleur. Engagé depuis quatre ans, il a bénéficié de formations, de conseils et de dons, comme des plantes et des semences pour ses cultures. Malgré le manque de reconnaissance, il est fier de contribuer au bien-être de sa communauté.

    Maharavo Razesy, un autre patrouilleur, trouve dans la forêt un havre de paix. « Quand la vie est difficile, venir en forêt, c’est comme prendre une grande bouffée d’air frais », confie-t-il. Malgré les quatre heures de marche, qui ont mis à rude épreuve nos forces, nous avons ressenti aussi cette paix en pénétrant dans la forêt. C’était comme si le monde extérieur, avec ses soucis et ses bruits, s’était soudainement éloigné. Seuls les chants et les cris d’appel des lémuriens troublaient le silence, créant une atmosphère unique. Malheureusement, nous n’avons pas eu la chance de croiser ces primates fascinants.

    Apres le déjeuner

    Une épreuve de force

    La saison des pluies transforme leurs patrouilles en véritables parcours de combattant. Pour atteindre la forêt, ils doivent s’aventurer sur des sentiers escarpés, transformés en bourbiers par la pluie. Une fois à l’intérieur, les conditions deviennent exécrables : le froid, l’humidité, les sentiers glissants et les insectes les harcèlent sans répit. Moustiques, limaces, une nuée d’invités indésirables les accompagnent dans leur périple. « Nos imperméables sont souvent débordés, et le froid s’infiltre jusqu’à nos os« , confie Laurent, un patrouilleur. « Préparer un repas sous la pluie, c’est toute une aventure. Nous avons nos petites astuces pour allumer un feu, mais rien ne remplace le confort d’un toit.

    Malgré les conditions difficiles, les patrouilleurs sont déterminés à transmettre aux générations futures cet héritage naturel exceptionnel. « C’est pour nous le sens du développement durable », affirme José, qui a à cœur de partager sa passion avec les plus jeunes. Il se souvient encore de cette nuit où il a entendu des voix étranges dans la forêt. En sortant de sa tente, il a cru voir un fosa, mais il n’en est pas certain. L’animal a rapidement disparu dans l’obscurité, laissant José partagé entre la peur et l’excitation d’avoir peut-être aperçu cette créature légendaire.

    À chaque patrouille, la rencontre avec les lémuriens et les autres animaux de la forêt est une véritable récompense. C’est une des preuves tangibles que leurs efforts de protection portent leurs fruits. Les chants des lémuriens et les jeux d’ombres des autres animaux dans la canopée témoignent de sa vitalité et de son équilibre. Chaque cri, chaque mouvement est un signe indubitable de la bonne santé de cet écosystème fragile.

    Co-gestion : un partenariat à consolider

    De leur coté, les patrouilleurs d’Ampatakana, un village un peu éloigné d’Amparihivola, ont mis en lumière un problème majeur : l’absence totale de soins en cas d’accident en forêt. « Qui viendra à notre secours si nous nous blessons ? Qui paiera nos médicaments ? Nous sommes livrés à nous-mêmes avec notre maigre indemnité de 10 000 ariary qui doit couvrir nos repas et nos dépenses », s’inquiètent-ils.

    Ils réclament à l’unanimité une revalorisation de l’indemnité journalière, qui ne tient pas compte, selon eux, de la difficulté de leurs missions, bien qu’elles soient effectuées sur une base de volontariat. Ils demandent par ailleurs un équipement de qualité et en quantité suffisante, ainsi que le respect des délais de paiement. Les retards de versement des indemnités, selon Rija Thierry Ramanandraiarivony, directeur du CAZ de Toamasina, sont liés aux procédures financières rigoureuses mises en place par la Conservation International (CI), en particulier à la validation des données GPS. Afin d’accélérer les paiements, il propose de recourir au paiement par mobile banking. Par ailleurs, la CI a mis en place un système de doléance, mais ce dispositif semble peu connu des patrouilleurs. L’ONG s’engage à mieux informer les patrouilleurs et à faire le nécessaire pour leur fournir l’équipement adéquat.

    128 communautés locales, soit 8800 ménages, collaborent avec Conservation International (CI) pour assurer la “co-gestion” du CAZ. Le directeur souligne l’importance de cette collaboration et met en avant l’engagement des communautés, décrit dans le cahier des charges du transfert de gestion. Chaque communauté locale, responsable de sa zone attribuée, s’engage aux côtés de Conservation International a préserver la biodiversité de cet écosystème. 

    Photo : Ministère de l’Environnement et du développement durable

    Les fruits d’une mobilisation collective

    Les patrouilles ont révélé que la principale cause de dégradation de la forêt était le recours fréquent à la culture sur brûlis, tant à l’intérieur qu’aux abords de la zone protégée. Dans un de leurs rapports mensuels, ils ont signalé un individu en particulier qui étendait progressivement ses cultures illégales à l’intérieur de l’aire protégée. Cependant, conscients des tensions potentielles crées au sein de la communauté, ils se limitent à constater ces faits sans intervenir directement. Par ailleurs, la zone de restauration forestière des VOI d’Amparihivola a été victime d’un incendie criminel en 2023, dont les auteurs restent inconnus et introuvables. 

    Grâce à l’engagement des patrouilleurs et à la mobilisation de la communauté, les opérations de surveillance ont permis de réduire les infractions environnementales à Fierenana en quatre ans. L’adjoint au maire de Fierenana souligne l’importance de poursuivre ces efforts et de renforcer le cadre juridique pour assurer une protection des patrouilleurs et de l’environnement. Ce succès est le fruit d’une collaboration étroite entre tous les acteurs locaux, démontrant ainsi qu’il est possible de concilier développement économique et protection de la nature.

    Quid des effectifs des VOI pour assurer une protection efficace

    Les données sur les effectifs des différentes VOI révèlent que les quatre organisations peinent à assurer une surveillance suffisante de leurs territoires respectifs. Si les VOI Fandrefiala et Vonona disposent de moyens humains légèrement supérieurs, aucun des groupes ne dispose d’effectifs suffisants pour faire face à l’ampleur des tâches.

    Les VOI Farihivola et MAMAFI, avec respectivement 28 et 26 membres, surveillent 779 ha et 586 ha. De leur côté, les VOI Fandrefiala et Vonona gèrent 2542 ha et 813 ha. Cette situation, bien que prévue dans le cahier des charges, met en lumière la responsabilité de tous les acteurs de renforcer les moyens alloués aux VOI afin de garantir une protection optimale de la biodiversité.

    Dans un article publié en juin 2024, Mongabay, une plateforme d’information dédiée à la science et à la conservation de l’environnement, rapporte qu’une étude parue dans la revue Conservation and Practice révèle un déficit en matière de personnel dans les aires protégées du pays. Selon cette étude, les effectifs actuels, soit un agent pour 37,3 km², ne représentent qu’un tiers des recommandations internationales, qui préconisent un ratio d’un employé pour 13 km². Il est aussi question de stratégie et de motivation et pas forcément du nombre des patrouilleurs.

    Madagascar lève le voile sur l’avenir de la conservation

    Le ministère de l’Environnement et du Développement Durable, sous l’impulsion de son directeur général de la Gouvernance Environnementale, Rinah Razafindrabe, mise sur les technologies de pointe pour renforcer la protection de la biodiversité. En effet, l’utilisation de drones équipés d’intelligence artificielle permet d’optimiser la surveillance des espaces naturels. Ces outils innovants facilitent le suivi des projets de reforestation, la cartographie précise des zones protégées et le recensement des populations animales, notamment les lémuriens. Les données collectées servent ainsi à affiner les stratégies de conservation et à lutter plus efficacement contre les activités illégales, tout en complétant les actions menées sur le terrain par les patrouilleurs.

    Le corridor d’Ankeniheny-Zahamena est un trésor de biodiversité qu’il faut protéger. Pour y parvenir, le Projet Paysages Durables mise sur la restauration des forêts et sur le mécanisme REDD+. Ce dernier permet de financer la lutte contre la déforestation et de capter du carbone, contribuant ainsi à atténuer le changement climatique. C’est une opportunité pour Madagascar d’allier conservation de la nature et développement durable.

    Le financement REDD+ : un soutien fort à la conservation

    Madagascar a été récompensée pour ses efforts de conservation forestière, selon un article de la Banque mondiale publié en décembre 2023. Le pays a reçu 8,8 millions de dollars de la Banque mondiale au titre du mécanisme REDD+, en reconnaissance de la réduction de 1,76 million de tonnes d’émissions de carbone  en 2020. Ce premier paiement ouvre la voie à un financement total pouvant atteindre 50 millions de dollars en ce 2024, destiné à réduire les émissions de 10 millions de tonnes de CO2e dans les forêts de la côte Est, l’une des régions les plus riches en biodiversité du pays.

    Selon Lovakanto Ravelomanana, coordinatrice du BNCCREDD+, Madagascar a lancé 15 initiatives REDD+. Ces projets visent à réduire la déforestation et à protéger les forêts, tout en améliorant la vie des communautés locales. En effet, un système de partage des bénéfices a été mis en place pour que les populations locales puissent bénéficier directement des revenus générés par la préservation de leurs forêts. Cela permettra de soutenir la gestion durable des ressources naturelles et de promouvoir des activités agricoles respectueuses de l’environnement.

    Patrouilleurs: des acteurs clés à soutenir pour la réussite des projets REDD+

    Les villageois d’Amparihivola interrogés ont indiqué ne pas être informés des projets liés au financement REDD+. Néanmoins, les patrouilleurs et les membres des deux communautés ont exprimé le besoin d’améliorer leurs pratiques agricoles, notamment en utilisant des motoculteurs pour faciliter leurs travaux des champs.

    Avec 7 millions d’hectares de forêts et 50 millions d’hectares de savanes à protéger, Madagascar fait face à un défi colossal. Face à l’insuffisance des effectifs des gardes forestiers (350), il est impératif de mobiliser les communautés locales. Les patrouilleurs, gardiens de leur propre environnement, sont des alliés indispensables. En les formant, en les équipant et en valorisant leur engagement, nous les encourageons à poursuivre leur action essentielle pour la préservation de nos écosystèmes. Soutenir ces jeunes, c’est investir dans l’avenir de Madagascar et de la planète.

    Sources :


    https://fr.mongabay.com/2024/06/le-manque-de-personnel-dans-les-aires-protegees-me
    nace-la-conservation-de-la-biodiversite-a-madagascar/

    https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2023/12/04/madagascar-afe-receives-8-8-million-for-forest-carbon-credits#:~:text=ANTANANARIVO%2C%204%20d%C3%A9cembre%202023%20%E2%80%94%20Madagascar,r%C3%A9duction%20des%20%C3%A9missions%20dues%20%C3%A0


    https://fr.mongabay.com/2024/07/les-defenseurs-de-la-nature-de-plus-en-plus-en-danger
    -a-madagascar/


    https://newsmada.com/2024/09/13/environnement-drones-et-intelligence-artificielle-au-s
    ervice-de-la-biodiversite/


    https://documents1.worldbank.org/curated/fr/836861587627365339/pdf/Cadre-Fonctionn
    el.pdf


    https://www.fapbm.org/fis-pour-le-corridor-ankeniheny-zahamena-caz-pour-renforcer-la-
    securisation-de-laire-protegee/


    Misa
    Misahttps://www.lachasseinfo.com
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